Une apparition en guise de déclaration (ou l'inverse...)
Le film Black Adam sorti en France, mercredi dernier, matérialise le retour du Superman d'Henry Cavill au sein de l'univers des films DC. Un caméo plus que symbolique qui officialise la présence de l'acteur et de son personnage dans le grand plan de dix ans voulu par les nouveaux exécutifs en place.
Décryptage d'une apparition riche en intentions et considérations critiques sur le nouveau film de Dwayne Johnson.
ATTENTION contenu hautement spoilerisant !
Une scène peu désirée
Dwayne Johnson l'a assez claironné : ce film est un rêve de gosse devenu réalité. Et quand il se prenait à rêver d'incarner l’anti-héros de Kahndaq, c'était pour affronter L'homme d'acier dans un combat titanesque. Encore fallait-il ramener l'acteur Henry Cavill, tenant du rôle au sein de l'écurie DC ?
Quand il soumet l'idée, épaulé par Jim Lee, Johnson se heurte au refus poli de Walter Hamada, producteur à l'époque. L'ancien catcheur contourne l'obstacle et monte plus haut pour obtenir gain de cause. Après des mois de rumeurs et de pourparlers, l'affaire semble conclue dans le plus grand secret.
Aucune annonce officielle ne marque dans le marbre le retour de Cavill pour de multiples films et il aura fallu attendre la scène post-crédit pour avoir la confirmation visuelle de la chose : Superman est bel et bien de retour sur les grands écrans après 5 ans d'absence.
On peut remercier la pugnacité de Johnson qui a insisté pour croiser le Kryptonien (les deux acteurs partagent le même agent artistique), mais aussi la récente fusion de Warner Bros et Discovery qui a initié le remplacement des producteurs allergiques à Zack Snyder et le retour à une ligne éditoriale beaucoup plus cohérente.
Une apparition en guise de declaration
Personnellement, j'aurais préféré voir Kal-el apparaitre en lévitation dans un ciel inondé de soleil orangé... Un plan snydérien sur fond musical de Hans Zimmer. Mais le retour du héros sera visuellement bien différent de ce que j'avais en tête. Et à y regarder de plus près, il fait sens par tout le symbolisme qu'il véhicule.
Après un bref échange hologrammique où Amanda Waller met en garde Black Adam sur la conduite à tenir, ce dernier la met crânement au défi de l'arrêter avant de pulvériser son image d'un éclair de la main. On distingue ensuite une silhouette atterrissant sur un fond brumeux et sombre. Le public comprend dans l'instant qu'il s'agit de Superman avant de le voir surgir de cet écran opaque dans un costume lumineux sur fond du célèbre thème de John Williams revisité.
Une habile mise en abîme pour le personnage resté dans l'ombre depuis longtemps suite à la dérive éditoriale du studio. Superman nous revient dans un costume de lumière et nous apparaît les pieds bien ancrés dans notre monde : son retour physiquement imposant est porté par le charisme de l'acteur britannique qui n'a rien perdu en puissance évocatrice.
Le choix du thème du premier film de Richard Donner est aussi une façon astucieuse de rassembler tous les fans de Superman et une formidable note d'intention : le Superman que nous verrons dans le futur sera celui de toutes les générations et rassemblera tous les publics derrière lui, ceux de Donner et de Snyder, les anciens comme les plus jeunes (environ 40% de quadra-quinquas composait le public américain devant le film vendredi dernier).
Et ce sera surtout celui que l'on aime et veut voir sur grand écran, l'acteur arborant sa célèbre mèche qui lui faisait défaut dans la version de Snyder.
En deux phrases prononcées, Superman désamorce ensuite la dangereuse puissance démontrée au cours du film par Black Adam et se pose en garde-fou ultime en concluant par un prometteur 'Il faut qu'on parle" annonciateur d'une confrontation à venir.
Une apparition pensée donc comme une déclaration et pas seulement un clin d’œil aux spectateurs avides de fan-service. Nous avons bel et bien eu en 30 secondes la confirmation que le personnage va être restauré dans toute sa dimension épique, mais surtout dans son acceptation communément admise.
Si Black Adam nous est dépeint comme l'être le plus puissant sur Terre, Kal-El est bien l'être le plus puissant de l'univers du DCU. Une évidence toujours bonne à rappeler après ces années d'errance scénaristique. Il était nécessaire de le faire, mais le long-métrage de Jaume Collet-Serra a aussi une autre utilité dans la suite à donner à l'univers cinéma des héros DC...
Un film censé monter au front ?
Difficile pour Black Adam d'ouvrir les hostilités en tant que premier film de la nouvelle ère du DCU, la pâte de Toby Emmerich et Walter Hamada, producteurs exécutifs mentionnés au générique et désavoués depuis, est toujours visible même si les récents reshoots se seront efforcés de l'atténuer.
Un film hybride et remanié, un variant du projet initial ayant pour lourde tache d'annoncer la nouvelle direction artistique de l'univers cinématographique. Une mission d'autant plus délicate après les échecs du Suicide Squad de James Gunn et autres Birds of Prey, sans parler des annulations multiples qui auront fait coulé beaucoup d'encre.
Un film qui a vu ses intentions profondément recadrées au vu des nouvelles ambitions du patron de Warner Bros. Discovery (WBD), et qui se pose comme le héraut d'une nouvelle ère à venir. La charge est énorme mais il fallait bien un film pour s'en charger, pour clarifier la situation et dissiper la confusion persistante depuis toutes ces années.
Renouer avec la vision initiée par Zack Snyder, mais sans lui aux manettes, revenir aux fondamentaux après avoir clairement voulu s'en affranchir, tout en proposant une histoire propre, tel semble être le pourquoi de ce projet tel qu'il nous a été présenté.
Et malgré des défauts évidents, cette incursion de Black Adam sur nos grands écrans est une heureuse surprise réussie.
Un film généreux et respectueux
"Vide" "inutile" "qui ne raconte rien" "plat" les avis critiques sur la toile, youtubeurs français en tête, n'ont pas été tendres avec le film.
Le site Rotten Tomatoes, appliquant des lois mathématiques pour le moins discutables, l'a crucifié malgré un bon accueil du public. Je me suis méfié de ces avis et, au sortir de la salle, je peux dire que si le film ne rivalise pas avec les meilleures productions du DCU, sa générosité m'a fait passer un bon moment.
Un sympathique blockbuster à la réalisation propre même si pas révolutionnaire, au rythme soutenu et au rendu soigné. Oui j'ai aimé Black Adam dans ses débordements comme dans ses scories et à mon sens son contrat est rempli avec une certaine efficacité dont le cinéma a bien besoin en ce moment.
Ramener le public dans les salles après les occurrences décevantes de l'écurie Marvel (Thor 4 aura été le premier film Marvel que je ne serai pas allé voir depuis 15 ans, sans parler de la série She-Hulk que je finirai uniquement pour le caméo de Daredevil), Black Adam a tous les arguments pour y parvenir.
Un premier rôle au public conquis
Dwayne Johnson semble avoir rameuté son public dans les salles ; le film a déjà engrangé 26 millions de dollars vendredi 21 pour son premier soir d'exploitation aux USA. C'est le meilleur démarrage pour l'acteur, et le deuxième pour un film DC. Reste à voir si le week-end approchera les 60 millions visés par le studio.
La prestation de The Rock est digne de... The Rock. L'acteur personnifie la puissance de son personnage et sa morale implacable à la manière d'un Schwarzie dans Terminator 2. Froid et déterminé, ses combats deux heures durant alternent avec des scènes ionisant le pouvoir insondable de l'anti-héros. Traverser un mur sans sciller à la manière du Juggernaut des X-men, se débarrasser de ses assaillants sans aucune hésitation, Black Adam ne fait pas dans la dentelle et affiche une rage destructrice bienvenue dans un paysage ciné wokisé.
Sa musculature imposante, la mise en scène respectant son statut d’être surpuissant (coucou Thor !) et à l'opposé d'un humour rédhibitoire offre à Dwayne Johnson tous les plans requis pour exposer sa puissance. On se croirait dans un comics ! Le rythme effréné et les gros plans répétés iconisent toute la puissance du personnage. Voila un matériau respecté, il était temps !
Un arc narratif maladroit
L'introduction de la Justice Society of America (JSA) dans le film en aura dérouté plus d'un.
Mal amenée, surgie de nulle part, elle divise déjà les avis publiés. Idem pour l'Intergang...
Ca sort d'où tout ça ? C'était où avant ? La performance de Pierce Brosnan donne à son Doctor Fate une prestance sobre et contrastée, sa frêle silhouette et son visage marqué par les ans contrastant avec l'étendue de ses pouvoirs. C'est à mon sens le personnage du quatuor le mieux écrit, comme la scène touchante où il expose son sacrifice à son leader interdit...
Quant à Aldis Hodge, il apoorte un certain charisme cinégénique à son Hawkman chef de file du groupe, même si sa diction inégale casse quelque peu sa prestation à plusieurs reprises. Mais le réalisateur lui rend justice par la puissance de ses scènes d'action, à l'image de la confrontation avec Black Adam dans l'appartement de Sarah où ralentis et exiguïté de la pièce amplifient l'intensité des coups portés et magnifient le charisme des deux combattants.
Cyclone et Atom Smasher, personnages de 3e catégorie, sont peu développés et ne savent guère ce qu'ils font ici, à l'image de ces scènes où ils attendent les ordres avant de s'engager dans la bataille. Leur traitement, comme la caution comique du personnage d'Atom, qui en fait un géant maladroit et débilisé (il fuit la bataille persuadé d'y arriver et jubile après un coup porté à Hawkman) sont hélas des restes incompressibles de l'ère Hamada.
Peu d'explications données sur le passé de ce groupe. Mais après tout ce n'est pas leur film.
Une mise en scène sans ambition ?
L'autre force du film est dans son montage rythmé et pulsé.
De l'action non stop qui s'enchaine, mais demeure toujours lisible à l'écran. Des cases de comics au découpage fluide. Quelques idées de mise en scène pimentent le spectacle, à l'image de ce combat qui se reflète dans les multiples casques de Doctor Fate ou les nombreux clins d’œil à la réalisation snyderienne, comme les premières victimes de Black Adam dont la mise en image rappelle la prestation de Feora dans Man of Steel.
Peu original certes et déjà vu mille fois, mais toujours efficaces pour souligner la puissance du héros. Et que dire de ce démon déchiré en deux dans la confrontation finale. On entend déjà les cris d'horreur du Wokistan... Sabbac est plutôt réussi dans la mise en image, servi par des effets propres tout comme la rutilance du costume de Docteur Fate (on gardera en mémoire l’occurrence smallvilienne du personnage qui lorgnait vers le cosplay mal fagoté).
Du rythme, une colorimétrie saturée et quelques plans iconiques auront suffi à emballer le spectacle pour moi.
La ville de Kahndaq est assez crédible dans sa mise en scène. On croit vraiment arpenter les rues d'un pays arabe. Seule la caractérisation humaine pèche par un défaut d'épaisseur et un manque d'interactions avec les héros humains du film. A l'image du couple Amon-Sarah de loin le moins convaincant. Le personnage d'Amon limite agaçant aurait été un contrepoids intéressant à celui de Billy Watson dans le film Shazam!, mais son écriture improbable et hyperactive m'aura sorti du film à plusieurs reprises. Sa mère n'est pas plus convaincante dans un rôle et une prestation interchangeables, l'actrice se débrouillant comme elle peut avec un matériau de base mal finalisé. Une autre scorie du film, tout comme les méchants d'Intergang unidimensionnels et complétement OSEF....
Pour conclure....
Black Adam est un divertissement inégal et agréable qui devrait attirer les foules en salle.
Mais c'est surtout un film utile qui expose la nouvelle charte éditoriale du studio Warner Bros. Discovery. Porté par une réalisation soignée et un profond respect du matériau comics, entravé par une écriture vite expédiée et une caractérisation inégale, il se consomme comme un fast-food avant la promesse d'un futur repas gastronomique.
Plus convaincant que les dernières marvelleries, paradoxalement un peu moins formaté de par son statut hybride qui a les défauts de ses qualités et inversement, Black Adam signe un retour honnête et somme toute ambitieux au vu de son contexte de production.
Un film loin de mériter les tomates vertes de la toile. Reste à voir s'il résistera aux semaines à venir et à un second visionnage.
Alors oui, allez voir Black Adam pour le caméo du Kryptonien, et repartez avec une note d'intention franche et enthousiasmée. Ça vous changera du twerk d'une Fiona alcoolisée.
Shazam !
F. Boivin
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