Notre chroniqueur François Boivin vous proposait il y a quelques temps une analyse du Superman selon Zack Snyder dans Batman v Superman.
Vous attendiez la suite ? La voici avec l'épisode 2 !
SPOILER ALERT : Cet article révèle des éléments de scénario du film et des citations de dialogue !
NDLR : Toute référence se fonde sur l'édition Ultimate Cut du film Batman v Superman (BvS).
6. Une menace descendue du ciel
Au tout début du film, une citation semble nous mettre en garde :"Ce qui descend sur terre.... Ces choses tombées du ciel.... seront notre chute".
Lors de la bataille aérienne entre Zod et Kal-El, le caractère menaçant de ces êtres venus d'ailleurs est clairement mis en lumière par le gros plan sur le visage empreint de colère sourde d'un Bruce Wayne venant de sauver une petite fille. Pour lui, ces êtres sont un danger pour l'homme et sèment le chaos dans leur sillage. Leur bataille résonne comme l'heure du jugement dernier, l'Apocalypse certaine dans les prières de Jack, l'employé de Bruce, qui voyant son heure arriver, tente désespérément de sauver son âme.
Pour Bruce, si Superman représente la moindre menace, il faut tout faire pour s'en prémunir.
Évoquant le passé glorieux des Wayne construisant leur fortune sur la chasse, il va se mettre en quête du justicier volant pour éliminer la menace qu'il peut représenter. Aveuglé par son échec à sauver Robin et à éradiquer le mal de Gotham, il se lance dans une croisade fébrile, s'entrainant et fourbissant patiemment ses armes. L'ange salvateur que les humains voit en Kal-El est aussi une arme de destruction massive, sa toute-puissance le rapprochant des démons de l'enfer envahissant la Terre. Cette liturgie biblique sera d'ailleurs reprise par un Lex Luthor inversant le tableau accroché dans le bureau de son père ; les anges représentés terrassant à coups de lances des démons surgis des tréfonds des enfers se retrouvent à leur place une fois la toile retournée. La frontière est ténue entre les deux figures mythologiques. Le risque de basculer dans l'autre camp est prégnant, Bruce Wayne se refuse à le courir.
Alfred, le majordome technicien de Bruce, à l'image des chœurs des pièces antiques, rappellera d'ailleurs dans une sentence hautement prophétique que ces anges venus du ciel sont porteurs de mort :
"Des hommes tombent du ciel. Des dieux lancent des éclairs. Des innocents meurent. Ce sentiment d'impuissance changent les hommes en bêtes enragées et cruelles. Ça commence comme ça".
Dans la sphère de Batman, la présence de Superman inquiète plus qu'elle ne rassure et motivera les ambitions belliqueuses d'un Bruce Wayne aigri et désabusé, se lançant aveuglément dans une croisade insensée. Les mises en garde d'un Alfred posé et clairvoyant n'y changeront pas grand-chose...
Une fois la nature divine de Superman fortement ébranlée, Snyder va aussi opposer la puissance physique du Kryptonien à l'appareil politique, militaire et médiatique de nos sociétés modernes.
7. Des figures du pouvoir déboulonnant les idoles
Nous avons vu que Perry White était loin de pencher en faveur du héros kryptonien.
Représentant le pouvoir des médias - influenceurs -, son journal se fait même l'écho d'une mauvaise presse destinée à ternir l'image de Superman.
Suite à l'attentat du capitole et à la disparition soudaine du héros, la ligne éditoriale du journal accuse directement L'homme d'acier dans un éditorial remettant en cause son intégrité. Un éditorial en écho ou dicté par les journaux télévisés et accusant notre héros de complicité dans cette atrocité, son absence paraissant comme un aveu de culpabilité alors même qu'il a porté secours aux survivants.
Si l'intégrité de Clark est remise en question par les autorités et les médias, la figure militaire du Général Swanwick incarnée par Harry Lennix semble remettre directement en question la supposée neutralité du héros quand il déclare "qu'aucun homme de pouvoir n'obéit à aucune politique ou aucun principe. Personne n'est neutre".
Le procès d'intention sera encore une fois enfoncé par la figure politique de la sénatrice Finch.
Incarnant le pouvoir officiel, s'inquiétant de laisser le dernier mot à un être divin hors de contrôle, la sénatrice entend poser un cadre légal aux actions de L'homme d'acier.
Que répondre aux familles qu'il ne pourrait éventuellement sauver ? Comment évaluer sa responsabilité dans les malheurs du monde non gérés ? Que faire, dans notre société de droit, d'un être ne répondant pas aux lois humaines et se plaçant ainsi au-dessus de Dieu ?
Le témoignage - certes mensonger de la supposée victime Kahina Ziri pose, à qui veut l'entendre, la question morale du choix : qu'est-ce qui autorise Superman à sauver une vie alors qu'il n'en a pas sauvé une autre ?
La sénatrice, croyant aux vertus du débat démocratique, espère que cette audition de Superman mènera à un cadrage du libre-arbitre de Superman, le pouvoir incontrôlable du Kryptonien posant juridiquement un problème. Une loi qu'elle espère portée par le consentement du peuple. Le tragique dénouement de l'audience fauchera ses ambitions, et entachera sévèrement l'auréole d'un Superman divinisé un peu trop vite.
Acculé par une société aussi prompte à l'encenser qu'à l'honnir, Clark s'envolera loin des hommes. Renonçant à la croisade d'un fantôme, son père Jonathan, il ira jusqu'à déclarer à l'amour de sa vie, Lois, que "Superman n'a jamais existé. Il n'était que le rêve d'un fermier du Texas".
Dénigré dans sa mission divine, il préférera s'envoler et fuir sa destinée devant une humanité partagée quant à sa légitimité.
8. Créer un Dieu pour mieux l'occire....
Reflets d'une époque cynique toujours prompte à encenser des idoles pour mieux les faire chuter le lendemain, les humains de BvS planteront le dernier clou dans le cercueil des idéaux de Clark.
A force de lui renvoyer son héritage d'alien potentiellement dangereux, il finira par ne plus se sentir de ce monde et s'enfuiera loin de lui et de Lois.
Comment rester devant ces écrans montrant des mannequins de pailles à son effigie brulés dans des scènes de rues inquiétantes ? Le regard interdit du petit garçon recevant ces images en dit long : se retournant pour questionner sa mère sans réponse, on lit aisément que son innocence insouciante vient de partir en fumée avec son idole brûlée en place publique.
Comment supporter les cris d'un foule haineuse réclamant son départ à peine arrivé au Capitole, cris couvrant à demi les quelques partisans dépeints comme des groupies hystériques peu représentatives du consensus général ? Une position intenable ; l'icône déboulonnée n'ayant d'autre choix que de disparaitre.
Ange ou démon ? Qui peut garantir que ce sauveur providentiel ne se retournera pas contre nous ?
Lors d'un talk show sur le héros capé, un influenceur finira de jeter l'opprobre sur l'image du héros en rappelant que 'notre foi aveugle en des figures héroïques nous a conduit aux pires atrocités".
Le souvenir des figures providentielles dictatoriales qui ont jalonné notre histoire sera d'autant plus ravivé par la scène du Knightmare où un Superman fascisant atterrit devant une milice prosternée devant
son dictateur omnipotent.
Si un Bruce Wayne aveuglé entreprend d'adresser ce dilemme à sa manière, c'est la voix d'un autre humain, Lex Luthor, qui entend réveiller les consciences endormies.
9. Ainsi parlait Lex Luthor
Reconnaissant dans un premier temps les "métahumains comme des dieux parmi les hommes", Lex Luthor remet très tôt en question le pouvoir kryptonien en rappelant à la sénatrice Finch que "le plus vieux mensonge de l'AmérIque est que le pouvoir peut être innocent.".
L'intégrité et le moralité de Superman, vertus fondatrices de toute divinité, une fois foulées aux pieds, notre héros dégradé ne sera plus qu'une menace comme une autre pour Batman qui, lors de leur confrontation, lui rappellera qu'il n'a "jamais été un dieu. Même pas un homme. Les hommes sont braves". Un sous-homme dans l'esprit manipulé et aveuglé du Chevalier Noir. Mais toujours un dieu vivant dans celui de Luthor qui ne peut encaisser cette rivalité.
Révélé par Lois Lane comme l'instigateur de la campagne de calomnie visant à décrédibiliser Superman, Luthor révélera ses motivations à Kal-El avant de refermer son piège sur le héros déchu agenouillé. Par sa nature divine, Superman est au-dessus du mal et de la vertu absolues, comme Dieu.
Luthor convoque d'ailleurs les grandes figures mythologiques du passé comme Horus, Apollon ou Yahvé avant d'ajouter Clark Kent à la liste. Mais il rappelle que ces dieux appartenaient à leurs tribus et ne sauvaient pas tout le monde. Reprenant l'argumentaire politique de Finch, Luthor demande pourquoi Superman ne l'a pas sauvé enfant des sévices subis sous la main de son père abusif ? Et de conclure que s'il est tout puissant, un dieu ne peut pas être entièrement bon pour tous. Et s'il n'est pas entièrement bon, il n'est pas non plus tout-puissant dans sa divinité.
Démonstration par l'absurde d'un esprit malade qui conclut son allocution par son désir de "plier Dieu à sa volonté" dans le combat entre "le jour et la nuit, Dieu et l'Homme, Superman et Batman", qu'il a savamment orchestré.
La folie de Luthor, sans doute renforcée par le trop plein de connaissances reçues dans le vaisseau kryptonien, soit les apports théoriques de 100 000 mondes, le placera à son sens en héraut de la vérité, celui qui révèle l'escroquerie et la supercherie d'un dieu frelaté.
L'homme doit occire son dieu. Luthor, pur produit d'une société technophile et avide de concentrer les pouvoirs, en sera le chantre. "Et si l'homme ne tue pas Dieu...", alors Lex créera sa damnation, son Doomsday, avec la nette intention d'en finir avec le pouvoir divin du Kryptonien.
10. Déconstruire pour mieux rebâtir
Nous avons vu par ces lignes que Zack Snyder déconstruisait la figure divine de Superman en le dépouillant trois heures durant de ses caractéristiques super-héroiques.
Malmené dans sa relation aux figures humaines de son identité civile, adoré comme un sauveur réincarné avant d'être destitué de son statut divin, Kal-El, privé de son ADN héroïque, ne pourra que succomber aux assauts imparables de son ultime damnation, le Doomsday. Mais le public trop pressé de se séparer de ce héros vaincu est peut être passé à côté du message primordial du film de Snyder...
C'est en effet dans les derniers instants de la bobine que la nature divine, voire christique, de Kal-El sera rétablie. C'est par son sacrifice désintéressé, alors qu'il vient de retrouver toute la conviction de sa mission profonde, c'est par son sauvetage d'une humanité impuissante à assurer son propre salut, que Superman retrouvera son aura divine. Sous les yeux attristés de ses deux compagnons de lutte, il git aux pieds de Lois Lane, enserré dans sa cape en guise de linceul. Lois le pleurant n'est pas sans rappeler la posture de la Madone dans la Pietà de Michel-Ange.
Car c'est bien Lois qui lui aura permis de renaitre de ses doutes en lui rappelant, alors qu'il s'apprête à renoncer à sa mission, que son amour pour l'humanité inspire l'espoir, une valeur qu'il incarne dans une société moderne pour le moins déboussolée.
Renaissance d'un Christ qui meurt les bras en croix, terrassé par une lance enfoncée en son flanc, et se sacrifiant pour une humanité qui, en choisissant d’écouter les voleurs (Lex), le condamne à la crucifixion. L'imagerie religieuse est fondamentale dans la dramaturgie de Snyder qui abonde en symboles et sens cachés. Ici, elle lui sert à redonner à une icône déchue toute la sacralité de son caractère divin.
Le côté atemporel de Superman conclura le film : le monde enterre un cercueil vide, mais sa parole divine demeure en héritage dans les mots griffonnés au pied de sa statue détruite. Il suffit de regarder autour de nous pour retrouver foi et espoir en un humanité qui, comme le souligne Bruce Wayne, déploie autant d'énergie à se détruire qu'à se reconstruire.
Et Snyder de conclure à l'immortalité d'un héros incarné par son credo, l'espoir.
A Smalllville, lors de l'enterrement, le prêtre déclame des versets de la Bible annonçant que la Terre redonnera vie à ses morts. A Metropolis, la poignée de terre jetée par Lois Lane sur le cercueil semble entrer en lévitation. Autant de signes annonciateurs de la résurrection du héros à venir et de son retour en pleine lumière.
Conclusion
Destabilisé par ce minutieux travail de caractérisation pas toujours bien cerné, il m'aura fallu du temps pour comprendre le chemin artistique et scénaristique de Zack Snyder.
Comme beaucoup d'autres, devant mûrir mon appréciation du film que j'avais pourtant aimé à sa sortie, il me faudra attendre le montage intégral de 3 heures et plusieurs visionnages pour pleinement embrasser la vision du maitre.
Le director's cut aura rétabli le film dans son statut de chef d’œuvre du genre. Et remis son héros dans la lumière de son aura divine.
Symbole d'espoir aussi pour le futur de L'homme d'acier enfin en phase avec son héritage comics, Batman v Superman nous aura préparé à accueillir un héros lumineux et conforté aussi bien dans ses enjeux narratifs que dans sa présence cathartique et fédératrice.
François Boivin
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